FRIEND OF THE NIGHT (ROMIE)

Absence de sommeil, de soleil. Alors il faut marcher, se fatiguer, s'épuiser, puis faire le chemin inverse, jusqu'au lit, s'allonger et enfin réussir à dormir.
J'aime marcher dans la nuit et m'asseoir sur un banc juste sous un lampadaire. Parce que la lumière blanche et froide me réconforte, elle m'explique que c'est pas grave, que je pourrais dormir plus tard. C'est comme si elle disait
- Ne t'affole pas.
Alors je fume une cigarette, pour occuper mes mains, pour attendre que la nuit passe. Peut-être que si j'observe le ciel assez longtemps, les aurore boréales ne danseront rien que pour moi.
Peut-être pas seulement pour moi, parce qu'il y a une étoile qui s'approche, pas très loin.
Je fais de la place sur le banc, comme une invitation muette.

L'étoile fume. D'ailleurs, une étoile qui fume est-ce que ça ne serait pas plutôt une comète ? Ou un astéroïde ? Quelque chose de plus fort, de plus violent, qui décime et illumine tout sur son passage.
- Il est tard.
Je hausse les épaules, peut-être qu'il est tard. Moi, j'ai arrêté de compter les heures, je ne me fie plus qu'au jour et à la nuit. Je crois que je suis un peu déphasé depuis Tomas.
- J'arrive plus trop à dormir. Tu sais, parfois, on a l'impression qu'on tombe dans un trou. Et moi ça m'arrive tout le temps, alors je suis obligé d'aller marcher, de faire quelque chose. Sinon je peux plus, j'ai les yeux grands ouverts. À cause du trou.
J'ai un sourire un peu bizarre sur le visage. Je me demande si je suis ridicule, si on pourrait se moquer gentiment de moi, un peu comme avec un enfant qui a peur du noir ou des monstres sous le lit.

Elle montre son cœur.
- J'en connais pas un seul qui n'en a pas.
On est tous un peu cassé là-dedans, je crois. Il y a forcément des blessures, le temps, ça laisse des marques et surtout ça laisse du vide, quelque chose de brûlant, qui coupe la respiration.
Elle vient s'asseoir à côté de moi.
- Ça dépend des jours. Parfois oui, parfois non. Parfois, le sommeil ne vient pas du tout. Comment tu fais pour t'endormir, toi ?
Peut-être qu'il faudrait que j'engage quelqu'un qui viendrait me lire des histoires à mon chevet, comme avec les enfants. Celui qui vit dans ma tête il se planque depuis des mois, ça le fera peut-être sortir de sa cachette.
(non, je ne sais pas faire. tu me montres?)

Elle me parle de son amoureux et de pilules.
- Je crois bien que les pilules ne font pas effet, il parait que c'est psychologique. Peut-être que tu devrais te dire quelque chose comme "bon, allez, maintenant je dors" et ça marcherait ?
Mon regard est fixe vers l'horizon de maisons et le trottoir d'en face (désert).
Ensuite elle me parle de Delf (son amoureux, je devine). Néanmoins, le prénom allume quelques étoiles filantes à l'intérieur de mon cerveau.
- Delf ?
Je répète.
- Je le connais.
Je souris en pensant au garçon.

- Oui, moi je pense qu'on nous donne ça, mais c'est du rêve.
Je hausse les épaules. Qu'est-ce que ça fait à part nous fracasser la tête et nous assommer dans un pseudo-sommeil où il n'y a même pas de place pour les rêves ? Rien.
- J'en prends pas. Tu sais, je crois que ça crée de la dépendance et tout. J'ai pas envie de devoir m'accrocher à des pilules, ça m'ferait pas de bien.
Oh non, pas du tout.
L'évocation de Delf dessine un sourire sur la bouche de ... Romie. C'est comme ça qu'elle s'appelle. J'aime bien son prénom, ça fait comme un ronronnement, et puis la dernière syllabe qui rime avec "jolie".
- Je le connais, oui, c'est mon ami. Il m'aide.
À surmonter la vie.
- Je m'appelle Njord.
Je lui souris.
Ça fait du bien de parler avec quelqu'un qui ne me connaît pas, de tout, de rien, qui n'a pas d'a priori sur qui je suis, ce que j'ai fait, ces choses-là.