faire le premier pas // njord

se lever et aller travailler. pousser la porte et entendre le bruit qu'un nouveau client rentre. le nouveau client c'est moi. sentir la douce odeur du pain et des viennoiseries. sourire au boulanger dans le fond. compter sa caisse et attendre avec plus ou moins d'impatience le premier vieux, le premier travailleur qui vient acheter le petit déjeuner. sourire malgré tout. prendre sur soi. respirer, respirer. tout ira bien, aujourd'hui est un autre jour.
sourire aux lèvres. larmes aux yeux. mais qui le voit réellement.
poings serré et dents prêtent à arracher de la chair.
mais qui peut le voir, franchement ?

traîner et servir les clients. danser du comptoir aux présentoirs à pains. tourner sur soi-même comme si j'avais une belle robe de bal. attraper, ranger, empaqueter. merci et bonne journée.
de la vitre un garçon arrive. reconnaître un vieil ami. un nouvel ennemi. le voir. serrer les dents et les poings. s'embraser de l'intérieur.
mais faire comme si de rien n'était. ranger, de dos il ne peut rien voir.
entendre sa voix. devoir se retourner.
le fixer sans rien dire, sans rien faire.
l'ignorer mais pas trop
et sinon 'te faut du quelque chose ?

se gratter le nez avec l'index et continuer de le regarder. là planté comme un piquet. des cages de foot pendant une coupe du monde. il se passe des trucs et il bouge pas. enfin si, il joue les commentateurs ou les parents qui crient qu'il faut faire quelque chose.
il joue les psy.
rouler des yeux et faire tomber un doigt sur le comptoir, puis un autre, et un autre et recommencer, le tout en rythme.
tap, tap, tap. être gavée.
sourire de malice. et continuer de l'ignorer, en le fixer avec un regard vide et lourd de sens.

le vide résonne. nos pensées se taisent. et nos êtres hurlent à la mort. à la notre. à la sienne. le malaise du malheur.
sa main sur la mienne. mes yeux dans les siens.
le chien qui aboie. ma main se lève pour sortir de la cage qu'il a créé.
mes yeux qui le foudroie.
- putain pourquoi tu fais ça ?
ma main est toujours en suspens dans les airs. attendant la gravité.

redescendre sa main et la plaquer le long de son corps. serrer les poings pour la énième fois depuis... toujours. un an. toute la vie. beaucoup trop longtemps.
remplir ses yeux de rage, d'éclairs. et juste faire gronder le tonnerre, mais pas faire tomber la pluie.
jamais, non, non, non.
parce que ça sert à rien. ??
le questionner. le lui faire dire que ça sert à rien de parler de ça, de lui.
se rappeler qu'il reviendra jamais.
baisser la tête sous le poids de la peine.

baisser la tête. regarder ses pieds et les faire bouger pour passer le temps. pour occuper le silence. ne sourire sous aucun prétexte.
remonter la tête. regarder njord. le dévisager comme s'il était un extraterrestre. un étranger.
ne plus le reconnaître. se souvenir que j'me reconnais plus dans la glace, non plus.
voir de l'optimisme et le balayer d'un revers de langue.
tu sais rien. t'en sais rien. tu peux pas comprendre.
faire l'enfant, comme si ça pouvais tout arranger.
secouer la tête pour changer les conditions.
le voir partir. le voir revenir.

se retrouver là-bas, à nouveau. passer du jour à la nuit. du matin au soir. du soleil à la lune dans le lac. le reflet, le sien, mêlé un dernière fois à celui d'un satellite. lui qui devient un millier d'étoiles.
se faire tirer et ramener à cet instant par cet idiot, c'est cette raison pour laquelle mes tripes me hurlent de l'ignorer, plus que toutes les autres.
le voir et le revoir. il erre autour de lui. posé sur son épaule. et ce, parce qu'il était là, justement.
l'ignorer pour oublier. l'ignorer pour essayer de ne voir que du noir et pas une aura.
ne rien dire et se triturer les ongles.
serrer les dents pour ne pas lui hurler de partir.
parce que dans l'fond ça fait un peu de bien.